Curzio Malaparte (1898-1957)
Curzio Malaparte (1898-1957)
Curzio Malaparte, né sous le nom de Curt-Erich Suckert le 9 juin 1898 à Prato en Toscane, mort le 19 juillet 1957 à Rome, est un écrivain, cinéaste, journaliste, correspondant de guerre et diplomate italien. Il est surtout connu en Europe pour deux ouvrages majeurs : Kaputt et La Peau. Dans la lignée de l'auteur du Décaméron, qui fut le créateur de la prose italienne, Malaparte demeure par son goût de la chronique un fils spirituel de Boccace, et l'un des prosateurs majeurs de la littérature italienne du XXe siècle. Il est aussi un disciple de Proust.
Né d’une mère lombarde et d’un père allemand originaire de Saxe mais établi depuis peu en Italie, Kurt Erich Suckert est né à Prato en Toscane en 1898. C’est à la fin des années 1920 qu’il adopte le nom qui le rendit célèbre : Curzio Malaparte. Il voulut par ce nom reprendre, en inversant sa première syllabe, le nom de Bonaparte, à qui il vouait une grande admiration. À ce sujet il dira ces mots célèbres : « Napoléon s’appelait Bonaparte, et il a fini mal. Je m’appellerai Malaparte et je finirai bien. »
C’est à son parcours de vie – signé d’un éclatement le plus total, marqué par une œuvre littéraire débordante, audacieuse, parfois impétueuse, souvent polémique et ponctuée d’engagements militants au sein de mouvements politiques les plus inconciliables que l’on mesure toute l’envergure de cet homme de lettres italien d’exception.
Idéaliste et aventurier, il n’a pas encore 17 ans lorsqu’il s’engage dans la Légion garibaldienne pour aller combattre les Allemands en France au tout début de la Première Guerre. Lorsque l’Italie entre dans le conflit, il intègre alors son armée comme commandant d’une unité de lance-flammes.
À la fin des années 1930, dans l’Île de Capri au large de Naples, Malaparte se lance dans la construction d’une maison au style architectural moderne et flamboyant, qui deviendra la Villa Malaparte. À sa mort, par provocation, l’écrivain la lègue à la République populaire de Chine dans le but de la transformer en résidence pour les étudiants et artistes chinois. En 1963, c’est cette villa qui sert de décor à Jean-Luc Goddard pour son film Le Mépris avec Brigitte Bardot.
En 1931, il publie chez Grasset, en traduction, un ouvrage qu’aucun éditeur italien ne se serait risqué de publier mais qui va assurer à son auteur un succès considérable : Technique du coup d’État, un essai sur la prise du pouvoir par les forces fascistes entre autres. Deux ans après la sortie de cet essai qui fait grand bruit, il est piégé par Il Duce qui lui demande de rentrer en Italie et se voit incarcéré, puis envoyé en résidence surveillée pour cinq ans sur l’île éolienne de Lipari.
Espèce de version moderne du Prince de Machiavel, Malaparte pose en effet cette question : en ces temps révolutionnaires – la fin des années 1920 en Europe –, comment renverser le pouvoir? Sa thèse est simple : la conquête du pouvoir ne dépend pas d’une situation sociale ou politique particulière, d’un contexte d’instabilité favorable à l’éclosion d’une révolution – contexte qui de toute façon tarde toujours à venir ou sinon qui ne vient jamais –, mais bien de la maîtrise adéquate de la technique du coup d’État. Car pour Malaparte – qui s’appuie notamment sur la Révolution bolchévique et la prise du pouvoir de Mussolini en Italie pour étayer sa thèse – pour réussir un coup d’État, il suffit d’un petit groupe de ceux qu’il appelle les « catilinaires » – en mémoire au conjurateur Catilina, qui pourtant échoua devant Cicéron –, bien entraînés et rompus aux techniques de la sédition et de l’insurrection les plus rigoureuses, les plus efficaces. Ce n’est jamais la valeur des idéaux, autrement dit la justesse des motifs, ni la présence de circonstances favorables, qui assurent le succès d’une insurrection, mais encore une fois la perfection de l’exécution technique du coup d’État.
Au début de 1940, lorsque l’Italie entre en guerre, il est mobilisé à nouveau. Il intègre alors un régiment de chasseurs alpins, avant d’être muté au service journalistique de l’armée, et continuant par ailleurs à signer des articles pour le Corriere. Il se rend en Grèce pour préparer l’invasion italienne, puis – dans les Balkans, en Roumaine et enfin sur le front russe juste avant le déclenchement de l’opération Barbarossa – il devient l’un des seuls journalistes étrangers à suivre les troupes allemandes sur le front de l’Est. En février 1942, durant le siège de Leningrad, il accompagne les troupes finlandaises – qui sont mobilisées de force pour contribuer à l’effort de guerre de l’Axe. S’appuyant sur cette expérience intime avec l’horreur de la guerre, il rédige au cours d’un séjour en Suède un recueil de nouvelles empreint d’un sentiment de déchéance dans laquelle serait tombée la civilisation européenne. Ce recueil paraît en 1944 sous le titre évocateur de Kaputt. Ce sera l’œuvre déterminante de sa vie et le grand sommet de son talent d’écrivain.
Ce livre raconte, avec un humour glacé et féroce, drapé dans un baroque morbide mais écrit dans une prose sublime, son expérience de correspondant de guerre à l'Est. Il constitue un témoignage cruel et réaliste de cette période où l'Europe est détruite (d’où le titre). Terreur et émerveillement s'y mêlent au sein d'une réalité magique, comme par exemple dans le premier chapitre, magnifique, qui raconte l’épisode des chevaux gelés du Lac Ladoga : « Le lac était comme une immense plaque de marbre blanc sur laquelle étaient posées des centaines et des centaines de têtes de chevaux. Les têtes semblaient coupées net au couperet. Seules, elles émergeaient de la croûte de glace. Toutes les têtes étaient tournées vers le rivage. Dans les yeux dilatés on voyait encore briller la terreur comme une flamme blanche. » Comme l'écrivait Henri Barbusse dans Le Feu : « C'est la vérité des choses qui est folle. » Le critique contemporain Gianni Grana note : « On pourrait se demander si un autre livre européen a pu conjuguer à ce point autant de reportage vécu, de métier littéraire et d'ampleur d'invention ; autant de génie évocateur, de sens poétique complexe, dans la conscience de la crise et de la défaite de l'Europe, dans le massacre de ses peuples et la chute définitive de la civilisation chrétienne et moderne, européocentrique. »
« Le vent du Nord survint pendant la nuit (le vent du Nord descend de la mer de Mourmansk, comme un Ange, en criant, et la terre meurt brusquement). Le froid devint terrible. Tout à coup, avec un son vibrant de verre qu’on frappe, l’eau gela. La mer, les lacs, les fleuves gèlent brusquement, l’équilibre thermique se brisant d’un moment à l’autre. Même l’eau de mer s’arrête au milieu de l’air, devient une vague de glace courbée et suspendue dans le vide. »
En juillet 1943, il rentre en Italie alors que les derniers jours du règne de Mussolini sont comptés. Il est alors mis aux arrêts par le régime fasciste pour des commérages dont il serait l’auteur et qui nuiraient aux bonnes relations germano-italiennes. Rapidement libéré, quelques jours plus tard il est toutefois emprisonné à Naples, pour son appartenance au fascisme par les troupes américaines fraîchement débarquées dans la péninsule. Libéré aussitôt, il est à nouveau arrêté par les autorités italiennes pour les mêmes motifs ! Il décide alors de joindre l’armée de Patton où il sert de correspondant de guerre jusqu’à la victoire alliée. Il racontera ces événements dans La Peau, l’un de ses livres les plus célébrés.
Sources : Un peu de connaissances glanées ici et là, le très intéressant article de Danic Parenteau (http://www.revueargument.ca/article/2011-03-01/539-curzio-malaparte-1898-1957-lecriture-au-service-de-la-polemique.html) ainsi que Wikipedia.
La Villa Malaparte, située sur l'île de Capri |
Les chevaux du Lac Ladoga, le premier chapitre de Kaputt |
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